DOUANCE ET HYPERSENSIBILITÉ
L’hypersensibilité est un sujet très présent dans la littérature professionnelle concernant la douance, dans les théories qui l’expliquent, ainsi que sur les forums de discussion. Les proches de personnes douées et les intervenants les côtoyant rapportent qu’ils ont notamment tendance à avoir des sens très développés, en plus de présenter des réactions émotives de forte intensité. Malgré cela, dans les 10 dernières années, très peu d’études scientifiques ont tenté de démontrer empiriquement la présence d’hypersensibilité chez les personnes douées. Pour essayer d’y voir plus clair et d’apporter quelques pistes de réflexion aux doués et à leurs familles, l’équipe de l’Association québécoise pour la douance s’est penchée sur la question.
Qu’est-ce que l’hypersensibilité ?
Bien que la majorité des gens aient une réactivité modérée aux odeurs désagréables, aux lumières vives ou aux bruits forts, certaines personnes seraient surstimulées par leur environnement, au point où cela altèrerait leur qualité de vie. On les appelle les personnes hypersensibles (ou, en anglais, highly sensitive person), un concept introduit par Elaine Aron [1] en 1997. Sur le plan affectif, l’hypersensibilité se caractérise par des réponses émotionnelles plus intenses. L’hypersensibilité n’est pas spécifique aux personnes douées. Elle touche aussi les personnes autistes, celles ayant un TDA/H, ainsi qu’une certaine partie de la population (environ 20%) qui ne présente pas d’autres conditions.
L’hypersensibilité sensorielle et la douance
Sur le plan sensoriel, les personnes douées seraient plus réactives aux différentes stimulations visuelles, auditives, olfactives, gustatives et tactiles. Certaines études démontrent notamment que les enfants doués ont une meilleure vitesse sensorielle, ainsi que des capacités de discrimination et une acuité supérieure aux enfants d’intelligence moyenne. Les résultats de Gere et ses collaborateurs (2009) [2] soutiennent l’hypothèse selon laquelle les enfants doués sont plus sensibles à leur environnement physique. Les sensations et les réactions émotionnelles exacerbées de ces enfants pourraient provenir du fait qu’ils interprètent différemment les stimulations provenant de leur environnement.
La théorie de la désintégration positive
Le concept d’hyperexcitabilités, qui se rapproche de la notion d’hypersensibilités, provient de la théorie de la désintégration positive de Dabrowski. Les hyperexcitabilités s’expliqueraient par des réponses amplifiées du système nerveux central aux stimulus internes et externes. Dans les 10 dernières années, cette notion a attiré l’attention des scientifiques qui travaillent sur la douance, surtout depuis qu’une échelle validée de 50 questions permet de les évaluer : le Overexcitability Questionnaire (OEQ-II).
Il existe cinq types d’hyperexcitabilités selon Dabrowski [3] :
– L’hyperexcitabilité psychomotrice, qui se manifeste sous forme de grande énergie, de curiosité intense, de difficulté à rester assis et d’un besoin constant de changement.
– L’hyperexcitabilité sensorielle, qui se dénote par une sensibilité accrue aux perceptions visuelles, tactiles, auditives et olfactives.
– L’hyperexcitabilité imaginative, qui s’exprime par une tendance à la rêverie, par la présence d’une vie intérieure riche et par une grande créativité.
– L’hyperexcitabilité intellectuelle, qui se déclare par une habileté pour les analyses et les synthèses, par des questionnements constants et par un besoin d’apprendre par soi-même.
– Et finalement, l’hyperexcitabilité émotionnelle, qui se caractérise par des émotions intenses vécues par des individus qui prennent les choses à cœur, ainsi que par une grande empathie et un fort besoin d’avoir des relations exclusives.
Il existe une hiérarchie au niveau des hyperexcitabilités : les hyperexcitabilités psychomotrices et sensorielles sont celles de bas niveau et plus de gens peuvent en démontrer les caractéristiques. Elles ne seraient pas spécifiques à la douance. Ce sont surtout les hyperexcitabilités imaginative, intellectuelle et émotionnelle, de plus haut niveau, que l’on rencontrerait davantage chez les personnes d’intelligence supérieure. Elles permettent à l’individu d’évoluer et de devenir plus accompli dans sa personnalité. Certains doués ne présentent pas toutes les formes d’hyperexcitabilités et n’accèdent pas à celles de plus haut niveau (intellectuelles, imaginatives et émotionnelles). En bref, la douance est un prérequis, c’est-à-dire qu’elle est nécessaire pour atteindre les niveaux supérieurs, mais ça ne garantit pas le développement de tous les types d’hyperexcitabilités.
Les études conduites à l’aide de l’Overexcitability Questionnaire (OEQ-II) chez les doués
Winkler et Voight en 2016 [4] ont fait une méta-analyse en combinant douze études recensées sur la douance menées avec l’OEQ-I ou l’OEQ-II. Leurs analyses confirment, comme attendu selon la théorie de Dabrowski, que les hyperexcitabilités, surtout de bas niveaux, ne sont pas spécifiques à la douance. En effet, bien que les doués obtiennent des scores plus élevés que les personnes d’intelligence moyenne à l’OEQ-I et II, les différences sont faibles. Il n’y a pas de différence significative en ce qui concerne les hyperexcitabilités psychomotrices chez les doués et chez les personnes d’intelligence moyenne. De même, pour ce qui est des hyperexcitabilités sensorielle et émotionnelle, la différence est faible. Enfin, il existe une différence modérée en ce qui concerne les hyperexcitabilités intellectuelle et imaginative.
Les études conduites avec l’OEQ-II sont très critiquées par Sal Mendaglio [5], expert de la théorie de la désintégration positive de Dabrowski et de la douance. Selon lui, les analyses qui en sont tirées ne sont pas les bonnes et les conclusions sont très réductrices pour mesurer les hyperexcitabilités dans la douance. Elles représentent mal la théorie de Dabrowski qui n’est pas une théorie de la douance, mais plutôt une théorie du développement de la personnalité. Il faut donc interpréter les résultats de ces études avec prudence.
Comment aider les enfants, les adolescents et les adultes doués à mieux vivre leurs hypersensibilités et les hyperexcitabilités?
Bien que les hypersensibilités et les hyperexcitabilités propulsent le développement intérieur chez certaines personnes, elles créent chez certaines autres des tensions qui sont trop difficiles à absorber ou à résoudre, et qui mènent à des problèmes psychologiques. Il est important d’examiner cette intensité et de promouvoir des stratégies d’intervention qui enrichiront les caractéristiques positives des individus, tout en leur apprenant à compenser les traits négatifs.
Bailey (2010) [6] formule plusieurs propositions en fonction des différents types d’hyperexcitabilités rencontrés.
Pour les hyperexcitabilités psychomotrices : Trouver des façons appropriées pour relâcher la tension et l’énergie (par exemple, le sport), et apprendre des techniques de relaxation variées. La thérapie d’intégration sensorielle en ergothérapie pourrait être efficace. Parfois, la médication peut être bénéfique et aider à la concentration, tout en permettant à la personne douée de développer des stratégies de contrôle personnel.
Pour les hyperexcitabilités sensorielles : Encourager la personne douée à prendre conscience des déclencheurs et de leurs réponses par une réflexion introspective. Certaines thérapies (par exemple, la désensibilisation) peuvent aider les personnes douées à mieux gérer les stimulations de leur environnement.
Pour les hyperexcitabilités imaginatives : Il est important de faire la distinction entre les énergies créatives et les tendances négatives et contreproductives, comme la fabulation. On devrait aider l’enfant et l’adulte doués à comprendre les différences entre ce qui est illusoire et ce qui est réel, et guider leur imagination vers la créativité plutôt que vers l’isolement.
Pour les hyperexcitabilités intellectuelles : Créer un équilibre entre celles-ci et les autres hyperexcitabilités, notamment les hyperexcitabilités émotionnelles. Apprendre aux enfants, aux adolescents et aux adultes doués des stratégies qui les aideront à contrer une trop grande intellectualisation par un développement de leur empathie et de leur créativité.
Pour les hyperexcitabilités émotionnelles : Être suivi par un intervenant renseigné sur les besoins sociaux et émotionnels des doués. Les doués ont souvent besoin de validation pour ce qu’ils sont en tant qu’individus. Ils ont aussi besoin d’une atmosphère de soutien et de compréhension qui encouragera le développement de leur conscience de soi et de l’acceptation de soi. Des interventions en bibliothérapie et en techniques de relaxation peuvent aussi s’avérer très efficaces.
Références :
1. Aron, E., The highly sensitive person. 2013: Kensington Publishing Corp.
2. Gere, D.R., et al., Sensory sensitivities of gifted children. American Journal of Occupational Therapy, 2009. 63(3): p. 288-295.
3. Dąbrowski, K. and M.M. Piechowski, Theory of Levels of Emotional Development: From primary integration to self-actualization. Vol. 2. 1977: Oceanside, NY: Dabor Science Publications.
4. Winkler, D. and A. Voight, Giftedness and overexcitability: Investigating the relationship using meta-analysis. Gifted Child Quarterly, 2016. 60(4): p. 243-257.
5. Mendaglio, S. and W. Tillier, Dabrowski’s theory of positive disintegration and giftedness: Overexcitability research findings. Journal for the Education of the Gifted, 2006. 30(1): p. 68-87.
6. Bailey, C.L., Overexcitabilities and sensitivities: Implications of Dabrowski’s theory of positive disintegration for counseling the gifted. Çevrim-içi: http://counselingoutfitters. com/vistas/vistas10/Article_10. pdf], Erişim tarihi, 2010. 13: p. 2013.