Certains stéréotypes associent haut potentiel intellectuel et troubles d’ordre affectif. On peut penser à l’image d’un « savant fou » incompris ou à un intellectuel introverti et inconfortable en relation. Des ouvrages populaires qui traitent de douance abordent les difficultés d’adaptation, les symptômes anxieux et dépressifs des personnes douées, ou encore les difficultés interpersonnelles qu’elles peuvent rencontrer. À l’inverse, d’autres réflexions communes présentent les personnes douées comme hyper adaptées à tous les niveaux, incluant au plan de la santé mentale. Ainsi, a priori, les opinions sont variées quant au lien possible entre douance et difficultés affectives.
Mais qu’en est-il d’un point de vue scientifique, et qu’est-ce que les études nous indiquent? À ce jour, la littérature demeure peu abondante sur le sujet, et les recherches qui s’y sont penchées utilisent des méthodologies très variables en fonction, par exemple, de la définition de la douance, de la taille des échantillons, des méthodes d’échantillonnage, des questionnaires utilisés, ou de l’âge et de la nature des répondants (pour la plupart des enfants). Ceci fait en sorte qu’il demeure encore difficile à ce jour de tirer des conclusions claires quant à cette question. De façon générale, par ailleurs, il semble que les individus à haut potentiel intellectuel sont majoritairement fonctionnels et présentent un bon niveau d’adaptation social et affectif, la douance pouvant constituer un atout et un facteur de protection notable dans les cas de difficultés personnelles. Les personnes douées semblent en effet, par exemple, présenter en moyenne moins de troubles internalisés ou externalisés que les personnes qui n’ont pas été identifiées comme telles.
Ceci ne signifie évidemment pas qu’une personne peut avoir été identifiée douée ne peut pas ressentir une souffrance au plan affectif, voire répondre aux critères d’un diagnostic psychologique. Il existe notamment des établissements dont la mission est d’offrir soutien aux individus à haut potentiel qui en expriment le besoin. Il peut être question de difficultés scolaires ou d’anxiété, par exemple. La recherche s’est également intéressée aux personnes doublement exceptionnelles, présentant en plus de la douance un autre diagnostic psychologique (voir à ce sujet sections sur ce site abordant les 2E TSA, TDAH, ou troubles d’apprentissages).
De plus, certains auteurs suggèrent que s’il y a difficultés affectives observées chez les doués, cela se produit plutôt chez personnes ayant des quotients intellectuels les plus élevés (i.e. QI de plus de 145), qui doivent alors composer avec un plus grand décalage en relation avec les autres. Certaines hypothèses explicatives ont alors été apportées pour expliquer ceci, par exemple la présence démontrée d’un plus grand volume de matière blanche au plan cervical chez les personnes plus douées qui pourrait mener à une rapidité du fil des pensées de tous types, incluant les pensées anxieuses, préoccupations ou ruminations particulièrement importantes à un certain niveau.
D’autres soulignent que l’asynchronie qui peut être présente entre une, une autre ou certaines des sphères de développement (cognitive, sociale, ou motrice) chez les personnes hautement douées pourrait être à l’origine d’anxiété et autres difficultés potentiellement associées (somatisation, troubles de l’humeur, difficultés de sommeil, consommation d’alcool, ou autres). Certaines études ayant utilisé la WAIS comme instrument mesure concluent à des difficultés affectives plus grandes lorsque les scores à l’échelle de compréhension verbale sont significativement plus élevés. À l’inverse, des scores élevés à l’échelle de raisonnement perceptif seraient associés à une meilleure gestion de l’anxiété. Même si davantage d’études sur le sujet demeurent nécessaires, on pourrait croire que certains profils d’individus doués ayant une plus grande tendance à réfléchir aux questions existentielles (aptitudes verbales très supérieures) peuvent exprimer davantage de souffrance affective que ceux qui se démarquent plutôt quant à leurs capacités raisonnement et la résolution de problème (utiles alors pour gérer les difficultés au quotidien).
Dans tous les cas, chez les doués comme pour tous, des facteurs de protection importants à favoriser pour le bien-être psychologique sont le soutien de l’entourage et le maintien d’une bonne estime de soi. Les enfants doués qui présentent une meilleure confiance en eux et un engagement vers des objectifs clairs présentent généralement un meilleur bien-être psychologique. Une bonne évaluation et compréhension de chaque personne permet de mieux cerner son fonctionnement, et s’il y a lieu, expliquer une souffrance rapportée, voire éviter les erreurs diagnostiques. Il est probable qu’une identification et compréhension plus claire du fonctionnement d’une personne douée contribuent à valider celle-ci, expliquer son fonctionnement, et ainsi favoriser son développement affectif et son adaptation sociale. Cela pourrait par exemple permette à un individu doué de mieux se comprendre et d’accepter ses particularités plutôt que de se conformer à des standards qu’il croit plus attendus, et ainsi masquer des parties de son identité. De meilleures décisions pour supporter les défis particuliers vécus par les personnes douées pourraient aussi alors être prises. Le saut de classe, par exemple, est considéré comme un meilleur choix pour plusieurs auteurs afin de favoriser leur épanouissement.
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